Portraits contemporains

Les années Ovahimba, Kazinguruka / Rina Sherman
Kozondana - Ovahimba / Rina Sherman
Les années Ovahimba / Rina Sherman
Les années Ovahimba / Rina Sherman
Ovahimba Gaze / Rina Sherman
Les années Ovahimba / Rina Sherman

Jeunes femmes et enfant, domaine familial de Vetamuna devant la tombe du rois défunt, Etanga, Kunene Nord, Namibie, 2001
« Les années Ovahimba / Rina Sherman » – BnF, collection du « Fonds Rina Sherman Files »

Pendant le tournage du film,  Shake Your Brains – Secoue ton cerveau – Kurakurisa Ouruvi, sur l’abus d’alcool dans la région de Kunene en Namibie, à Ehomba, nous avons rencontré M. Jan van der Merwe, descendant d’un écuyer d’un des Dorslandtrekkers, qui a laissé son ouvrier dans la ville frontalière d’Opuwo lors de son voyage de retour vers la Namibie ou l’Afrique du Sud en revenant de l’Angola. D’origine SeTswana, il parlait parfaitement l’afrikaans et, une fois la caméra orientée sur lui, m’a dit : « Vous nous avez d’abord apporté de l’alcool, du tabac et du sucre pour obtenir de nous ce que vous vouliez, et maintenant vous revenez nous dire que nous devons arrêter de boire, de fumer et de manger du sucre. Mais, que nous donnez-vous à la place ? »

Portrait de famille / Rina Sherman

Au centre de cette photographie, saisie au cœur du territoire ovahimba, se tient Kazinguruka, épouse du roi, honorée du titre d’Omukurukaze, « la vieille mère ». Ce portrait familial s’inscrit dans une démarche artistique visant à dévoiler la vie dans toute sa densité, en en explorant ses multiples strates : l’épouse en deuil, à ses côtés de jeunes femmes soigneusement occupées à restaurer leurs parures quotidiennes. Juste à l’extérieur, le gendre et un arrière-petit-fils font halte à mi-chemin de la maison, partageant avec les nouvelles recueillies sur leur chemin, entre la bergerie et les puits creusés dans le sable des lits de rivières asséchées, situés en contrebas de la maison.
À travers ce portrait, chaque figure et chaque geste ordinaire construisent une représentation attentive et nuancée de la complexité sociale du groupe familial, offrant une scène où s’entrelacent intimité, traditions et continuité dans le partage et le dialogue.
Les années Ovahimba / Rina Sherman – BnF, collection du Fonds Rina Sherman Files.

Cette photographie illustre parfaitement l’idéal que je poursuis depuis toujours : présenter la vie comme un tout intégral, la saisir comme un fait social total, à travers une multiplicité de niveaux d’observation. Elle invite à regarder les personnes et les objets de près, pour révéler de subtils détails ; à une distance intermédiaire, afin d’embrasser simultanément les actions qui se déroulent ailleurs ; et enfin à distance, pour offrir un cadre contextuel global à la scène étudiée.

Les Années Ovahimba : le choix des portraits formels de Rina Sherman
Entre 1996 et 2004, Rina Sherman a mené une étude immersive et multidisciplinaire auprès des Ovahimba, partageant pendant sept ans la vie de la famille royale d’Etanga dans la région du Kunene Nord, en Namibie, et élargissant ensuite son enquête aux communautés Otjiherero du sud-ouest de l’Angola. L’ensemble de ses recherches a donné naissance à un fonds multimédia exceptionnel, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France, qui se distingue notamment par une série de portraits formels marquants.

Approche et esthétique du portrait
La photographe explique qu’au travers du « regard » des Ovahimba – souvent immobile, direct et ouvert à une forme d’énigme ou d’interrogation – transparaît tout un rapport à l’autre : l’accueil du voyageur, la retenue face à l’inconnu et la transmission invisible de traditions. Ces portraits sont donc le reflet d’un échange où le photographe et le sujet se rencontrent à égalité, chacun se dévoilant à l’autre dans l’instant de la prise de vue.

Choix et intentions
Rina Sherman précise que le choix des images présentées dans sa série repose avant tout sur la volonté de transmettre le sentiment d’une humanité partagée. Les portraits, souvent captés « in situ » et en temps réel, témoignent de la complexité des liens et des interactions humaines : certains révèlent une complicité née d’une fréquentation prolongée, d’autres la singularité d’un échange unique et éphémère. Il s’agit, selon elle, de saisir la force et la vulnérabilité d’un moment précis, sans artifice, dans la continuité des gestes ordinaires et du quotidien partagé.
Son regard cherche ainsi à mettre en lumière la diversité des expériences individuelles au sein d’une même communauté, tout en déposant une mémoire vivante des vies capturées, entre traditions séculaires et dynamiques contemporaines.

Conclusion
Le projet des « Années Ovahimba » s’inscrit dans une démarche résolument ethnographique et artistique, où chaque portrait, loin d’être figé ou muséifié, s’offre comme une célébration de la présence, de la dignité et du mystère des femmes, des hommes et des enfants Ovahimba. Par cette approche formelle, Rina Sherman nous invite à contempler la pluralité des existences, affirmant le portrait comme un espace de rencontre et de transmission culturelle.